Délais de paiement et Loi LME : Quelles solutions concrètes ? Interview de Claude Lebrun, ACCENTURE


« Optimiser les délais de paiement est un vrai projet d’entreprise »


Claude Lebrun, Managing Director chez ACCENTURE

Quels sont les enjeux business et  les contraintes métiers de l’application de la loi LME, du côté client comme du côté fournisseur ?

CLAUDE LEBRUN: La Loi LME apporte certaines contraintes en termes de délais de paiement. Mais ces nouveautés permettent aussi une prise de conscience et une responsabilisation des clients comme des fournisseurs. Concrètement, cela aura un impact dans les négociations et les échanges : il y aura forcément un arbitrage entre les acteurs qui sont en mesure de proposer la dématérialisation et les autres. Répondre à cette demande de dématérialisation sera alors un véritable enjeu business et contractuel. Certaines entreprises rencontrent encore des difficultés à cet égard. D’autres, au contraire, ont des fournisseurs très proactifs à ce sujet. Parfois, la demande vient aussi des clients qui ne laissent aucune marge de manœuvre possible : en raison de leurs secteurs d’activité par exemple, ils doivent obligatoirement s’inscrire dans ce modèle. La capacité à dématérialiser va devenir, de plus en plus, un sujet relevant de la stratégie de l’entreprise, à l’instar de la RSE. A niveau égal de prestation ou de prix, cela pourra vraiment faire la différence.

En termes de contraintes, la Loi LME renforce l’importance de la connexion au fournisseur. Un vrai ROI est mesurable une fois que l’on a digitalisé ses factures fournisseurs et réussi à créer ce lien. Le format de facturation reste finalement secondaire : l’enjeu est de tisser une relation, d’enrôler les fournisseurs dans la dématérialisation. Du coup, le lien est plus difficile à rompre si un flux important est créé en termes d’échanges électroniques. Par ailleurs, changer de fournisseur peut engendrer des coûts de traitement non négligeables. Il ne faut donc plus réfléchir seulement au prix, mais au coût total représenté par certains choix.

Enfin, la Loi LME donne une vraie impulsion au changement, y compris de posture. Bien que le montant de l’amende ait été sensiblement augmenté, le principal enjeu du retard de paiement reste la mauvaise publicité faite à l’entreprise. Personne ne veut être perçu comme un mauvais payeur ! C’est d’autant plus important à l’ère où les jeunes générations de collaborateurs ont des attentes fortes sur les aspects sociaux, civils, éthiques.

Comment transformer cette contrainte en potentielle opportunité business ?

CLAUDE LEBRUN: L’opportunité de cette capacité à tirer un ROI interne est de pouvoir partager cette valeur avec ses clients ou ses fournisseurs, en instaurant un partenariat vertueux pour chacun. Le rôle des Achats, s’agissant des fournisseurs (ou des commerciaux lorsqu’il s’agit de clients) est d’évangéliser sur les aspects bénéfiques de ce type de démarche, avec même la possibilité de faire mieux que ce que la Loi prévoit.

Tous ces sujets impactent toujours les petits fournisseurs, plus fragiles que les gros. Pour réussir à les enrôler, un effort interne important est à déployer, à la fois dans l’entreprise cliente et chez eux directement.

Quel conseil donneriez-vous aux entreprises françaises ou internationales implantées en France pour démarrer un projet ? Par quoi commencer ? Et quels points de vigilance sont à observer dans le déploiement des projets ?

CLAUDE LEBRUN: Un projet d’optimisation des délais de paiement est un sujet très stratégique, qui nécessite une prise de conscience. C’est un vrai projet d’entreprise, qui doit être piloté, animé et au sujet duquel il faut communiquer. Certains grands groupes s’en sont rendu compte et mettent en œuvre l’investissement nécessaire, en termes de moyens internes et de responsabilité.

Mais avant toute chose, il faut poser les fondations en résolvant la question du délai d’approbation des factures. Sans ce point crucial, aucun déroulé n’est possible.

Il faut ensuite sortir de la logique de recherche de ROI court termiste : il est fondamental d’éduquer l’entreprise à une logique de long terme, car il s’agit là d’un vrai programme de transformation, dont la Direction Générale peut d’ailleurs être le meilleur sponsor. On ne peut pas lancer un projet de reverse factoring ou d’escompte sans ce support.

Concrètement, les Achats, les SI et la Finance doivent constituer l’équipe projet. Un business process owner transverse et indépendant, doit être nommé, rattaché a minima au Secrétariat Général.

Dans un second temps (même si cela paraît encore trop tôt pour l’envisager), intégrer à ce comité de pilotage des parties prenantes externes, comme des fournisseurs ou des clients, pourrait être pertinent et constructif. Mais avant cela, il est fondamental de travailler sur la notion de responsabilité.

Quels sont les écueils à éviter ?

CLAUDE LEBRUN: Il ne faut pas croire que seule la solution technique peut répondre à la problématique, ni minimiser l’effort de communication interne, un des vecteurs clés de réussite du projet. Investir du temps et des moyens humains est incontournable.

Un autre écueil serait de croire que ce type de projet est immuable et infaillible, une fois instauré. Il nécessite en réalité un travail de longue haleine, c’est une mission pérenne à laquelle il faut accorder une équipe dédiée. C’est ce que font déjà certains grands retailers, dans un souci d’amélioration continue : une équipe se consacre exclusivement à l’enrôlement et au suivi des fournisseurs.

Enfin, comme tout projet d’entreprise, ce type de projet implique nécessairement une transformation des tâches et des rôles d’un certain nombre d’acteurs.